Lorsqu’un patient présente une infection qui résiste à tous les traitements connus, on lui administre généralement de la colistine, un antibiotique de dernier recours peu utilisé chez l’homme en raison de sa toxicité. Le problème? Des bactéries porteuses d’un gène résistant à cet antibiotique de la dernière chance ont été découvertes récemment sur une patiente atteinte d’une infection urinaire. De quoi rendre plusieurs maladies incurables s’il venait à se répandre…
Comment en est-on arrivé là? En administrant de la colistine aux volailles, tout simplement. Son usage vétérinaire est en effet courant; selon l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV), il n’existerait même aucune autre solution pour le traitement des diarrhées. A tel point qu’en 2013, plus de 100 tonnes de cet antibiotique ont été distribuées aux animaux de rente tant en Allemagne qu’en Espagne et en Italie. Or, une utilisation excessive conduit les bactéries à développer des résistances.
80% de la dinde contaminée
Sur les 100 échantillons de volaille que nous avons envoyés dans un laboratoire, 32 se sont avérés porteurs de bactéries résistantes à la colistine, soit pratiquement un sur trois. Pour la dinde, la proportion atteint même quatre sur cinq! La viande concernée a été achetée chez Coop (11x), Aldi (9x), Migros (5x), Lidl (5x) et Edeka (2x). Dans 27 cas, il s’agit de poulet ou de dinde en provenance d’Allemagne; dans 5 cas, d’Italie. Chose rassurante, la volaille suisse passe entre les gouttes. Une performance à mettre en relation avec la faible utilisation de la colistine en Suisse (une demi-tonne par an, selon l’OSAV), alors qu’elle est massive en Allemagne. Raison: les normes européennes sont plus souples que les nôtres en matière d’espace alloué à chaque volaille. Et dans les espaces restreints, les infections nécessitant un traitement se propagent plus vite.
Déjà des cas en Suisse
Des bactéries résistantes à la colistine ont déjà été détectées dans l’intestin de plusieurs patients, y compris en Suisse, où six cas ont été recensés par des experts des universités de Berne et de Fribourg. Une situation suffisamment inquiétante pour pousser l’Agence européenne des médicaments à recommander une diminution substantielle de son usage dans le cadre des traitements vétérinaires.
Comment éviter la contamination?
Comme les autres germes pathogènes souvent présents dans la volaille, les bactéries résistantes à la colistine sont tuées lors de la cuisson. La contamination a donc lieu lors de la manipulation de la viande crue, ou bien si celle-ci n’est pas suffisamment cuite. En suivant les règles d’hygiène suivantes, on peut diminuer la probabilité d’infection:
- Après avoir touché de la volaille crue, se laver les mains avec du savon et de l’eau chaude, ainsi que les ustensiles de cuisine et la planche à découper
- Ne jamais mettre la viande crue en contact avec un autre aliment. Pour la fondue chinoise, présenter la volaille sur un plat séparé et ne pas la déposer sur son assiette avant de l’introduire dans le bouillon
- La température de cuisson à l’intérieur d'une pièce de volaille doit dépasser 70° pendant deux minutes
Lara Wüest / Vincent Cherpillod