«Tout le reste n’est que garniture». Ce slogan a longtemps fait les beaux jours de Proviande, l’interprofession suisse de la filière viande. Ce moyen de promotion ne semble pas pour autant avoir ouvert l’appétit des Suisses pour les produits carnés: l’an dernier, la consommation de viande a chuté de 2%. Depuis peu, l’entité a donc revu sa stratégie avec une nouvelle campagne de communication animé par le slogan «Nos omnivores ne mangent pas tout». Sur l’affiche (voir ci-contre), on voit un cochon qui renifle un seau de nourriture avec les inscriptions «Aucun antibiotique» et «Aucun OGM».
Prétendre que les élevages suisses ne reçoivent pas d’antibiotiques est erroné. Le porte-parole de l’interprofession s’en défend, tout en précisant: «La crédibilité de notre nouvelle campagne est une priorité. C’est pourquoi nous avons modifié le texte.» Et pour cause, puisque la mention est désormais complétée par une phrase en plus petits caractères. On peut lire: «Les hormones et les antibiotiques destinés à stimuler la performance sont interdits en Suisse.»
La Suisse n’est pas exemplaire
Cette affirmation est juste. Mais elle n’est pas propre à la Suisse, puisque cette interdiction est valable dans tous les pays de l’Union européenne. En revanche, les affiches de Proviande se gardent bien de préciser que de tels produits sont autorisés pour soigner les animaux malades ou en vue de traitements de nature préventive.
L’an dernier, les éleveurs de bétail du pays ont acheté plus de 41 378 kg d’antibiotiques. C’est ce qu’il ressort du Rapport annuel sur la vente d’antibiotiques et la surveillance des résistances en Suisse publié par l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV). Les spécialistes sont d’ailleurs toujours plus nombreux à estimer qu’un contrôle des produits administrés serait souhaitable. Pour Xaver Sidler, chef de la médecine vétérinaire porcine au Tierspital de Zurich, il y a d’évidents abus: «Les éleveurs de porcs pourraient réduire l’utilisation des antibiotiques d’une bonne moitié.»
Résistance inquiétante
Ce qui est particulièrement problématique, c’est que les antibiotiques administrés aux animaux utilisent des principes actifs que l’on retrouve également dans ceux qui sont prescrits en médecine humaine. Le risque, c’est que leur usage excessif provoque de plus en plus de résistance aux antibiotiques. Corollaire: des maladies ou des infections deviennent très difficiles à guérir, étant donné que les bactéries ne réagissent plus aux médicaments. L’Organisation mondiale de la santé relève que, pour «un nombre croissant d’infections, comme la pneumonie, la tuberculose, la septicémie et la gonorrhée, le traitement devient plus difficile, voire impossible parfois, du fait de la perte d’efficacité des antibiotiques».
Parmi les principes actifs qu’on trouve aussi bien dans des remèdes pour les animaux que pour les hommes, les céphalosporines de troisième et de quatrième générations appartiennent à une classe sensible. Or, depuis 2008, leurs ventes ont augmenté de 31%. On trouve notamment l’antibiotique Céfopérazone qui est utilisé pour soigner de la mammite chez les vaches laitières.
Si l’on jette un œil dans l’Union européenne (UE), on constate qu’il n’y a que les éleveurs chypriotes et lituaniens qui recourent davantage à la céfopérazone pour le traitement des pis des vaches que les suisses. En Allemagne, en France, en Italie et dans treize autres pays de l’UE, on en administre que le tiers par tête de bétail! C’est ce qu’il ressort du Rapport agricole 2013 de l’Office fédéral de l’agriculture.
Le vent tourne
La bonne nouvelle, c’est que la Confédération a réagi en mettant notamment en œuvre une Stratégie nationale contre la résistance aux antibiotiques (StAR). Adoptée en novembre 2015, elle vise à lutter contre le recours excessif ou inapproprié à de tels traitements, aussi bien dans la médecine humaine que vétérinaire. Les deux tiers des 35 mesures prévues par la StAR ont déjà été mises en place au cours de cette année.
Yves Demuth / yng