Les Suisses sont-ils masochistes? En 2011, ils ont élu un Parlement qui a refusé, en septembre 2014, de les autoriser à révoquer un achat passé sur internet dans un délai donné. Et ce n’est pas tout: pendant la dernière législature nos élus ont régulièrement fait fi de la défense des consommateurs.
Pour en savoir davantage, nous avons recensé 22 scrutins portant sur cet enjeu (lire encadré ci-contre). Nous avons limité cette analyse au Conseil national, car le vote électronique a été introduit au Conseil des Etats en 2014 seulement. Et nous nous sommes uniquement intéressés aux parlementaires qui sont candidats à leur propre succession, cet automne.
Du démarchage téléphonique au prix des billets de train, en passant par les tarifs du roaming, le verdict est sans appel: au moment du vote, plus le curseur se déplace vers la gauche de l’échiquier, plus les intérêts des consommateurs priment.
«Consophiles» à gauche
Roger Nordmann (PS/VD) arrive ainsi en tête de notre classement avec 19 votes favorables aux consommateurs sur 22. Il est talonné par ses collègues de parti Matthias Aebischer (BE), Evi Allemann (BE), Alexander Tschäppät (BE), Valérie Piller Carrard (FR), Jean-François Steiert (FR), Jacques-André Maire (NE) et Cesla Amarelle (VD) qui totalisent 18 prises de position «consophiles». Socialistes encore, Pierre-Alain Fridez (JU), Manuel Tornare (GE) et Jean-Christophe Schwaab (VD) ont défendu le chaland à 17 reprises, de même que le Vert Christian van Singer (VD).
«La liberté économique ne doit pas être le prétexte pour tordre les consommatrices et les consommateurs. Et rien ne m'agace plus que les rentes de situation», déclare Roger Nordmann. «Le Parti socialiste place les intérêts des consommateurs, des assurés et des clients en tête de ses priorités économiques, renchérit son président Christian Levrat. En renforçant le pouvoir d’achat, on renforce la demande et, par là, les emplois et les salaires.»
A l’opposé, l’UDC rejette quasiment systématiquement toute mesure visant à soulager le portemonnaie du consommateur. Céline Amaudruz (GE), Jean-Pierre Grin et Guy Parmelin (VD) l’ont ainsi prouvé à 18 reprises. Dans les mêmes travées, les Bernois Adrian Amstutz, Nadja Pieren et Albert Rösti alignent 17 votes «anticonso», à égalité avec le démocrate chrétien jurassien, Jean-Paul Gschwind.
Contre la bureaucratie
«L’important à mes yeux est de limiter les interventions de l’Etat et la bureaucratie, explique Nadja Pieren (UDC). «Je donne la priorité à une économie forte qui bénéficie également aux consommateurs», conclut la Bernoise. Traditionnellement libéraux, les parlementaires radicaux et ceux du Parti bourgeois-démocrate privilégient également une liberté de commerce sans entraves qui, à leurs yeux, profite indirectement aux chalands. A ceux-ci de se montrer suffisamment «responsables». «Notre parti respecte la responsabilité individuelle et ne veut pas mettre les consommateurs sous tutelle», explique Martin Landolt, président du PBD. Un corset bureaucratique affaiblirait la compétitivité des entreprises.»
Le PDC, quant à lui, défend sa place au centre du terrain, tel le Vaudois Jacques Neyrinck qui a voté neuf fois d’un côté et… neuf fois de l’autre. «Le PDC s’engage pour des conditions-cadres favorables aux consommateurs, mais doit faire certains compromis», explique son président. Christophe Darbellay donne l’exemple du droit de révocation pour les achats en ligne. «La divergence entre les deux Chambres du Parlement à ce propos a mis l’ensemble du projet en danger, raison pour laquelle il a fallu y renoncer. Sans cela, le renforcement de la protection du consommateur contre les abus du démarchage téléphonique n’aurait tout simplement pas vu le jour.»
Quel sera l’équilibre des forces qui sortiront des urnes le 18 octobre? Aux «consomélecteurs» d’en décider!
Claire Houriet Rime
En détail
Les enjeux conso de la législature
Comment nos élus sous la Coupole fédérale défendent-ils les consommateurs? Réponse avec l’analyse des votes des 53 conseillers nationaux romands qui se représentent cet automne. Le tableau à télécharger ici établit le palmarès pour les 22 objets suivants.
1. Tarifs de roaming. Faut-il plafonner le prix des SMS et des appels à l’étranger?
2. Billets de train. Faut-il enlever à Monsieur Prix la compétence d’intervenir lors de la fixation des prix pour les transports publics?
3. Service universel. L’accès au service public (approvisionnement en eau et en électricité, transport des personnes et des marchandises, santé, télécommunications ou formation) pour l’ensemble de la population doit-il figurer dans la Constitution?
4. Salaires des cadres. Faut-il limiter les salaires des dirigeants des entreprises publiques à hauteur de ceux des conseillers fédéraux?
5. Salaires en euros. Faut-il, pour lutter contre le dumping des salaires, interdire les rétributions en euros en Suisse?
6. Droit de révocation. Les consommateurs devraient-ils, dans un certain délai, pouvoir révoquer un contrat d’achat passé sur internet?
7. Prolongation de garantie. Faut-il porter à deux ans la durée de la garantie pour un article?
8. Protection des assurés. La loi sur le contrat d’assurance (LCA) est largement lacunaire en matière de protection des assurés. Faut-il la réviser complètement pour y remédier, plutôt que d’y apporter des retouches ponctuelles?
9. Caisses maladie. Dans un souci de transparence et pour protéger les assurés, faut-il soumettre les grands groupes d’assurance à la surveillance de la Confédération?
10. Assurance maladie. L’Office fédéral de la santé publique devrait-il développer un comparateur des primes de l’assurance maladie indépendant et gratuit?
11. Démarchage. Faut-il interdire le démarchage téléphonique aux assureurs maladie?
12. Pharmacies en ligne. Faut-il mettre des obstacles à l’achat de médicaments en ligne, souvent nettement plus avantageux?
13. Rentes LPP. Faut-il enlever au Parlement et au peuple la compétence de se prononcer sur les rentes de 2e pilier?
14. Retrait du 2e pilier. Faut-il limiter le choix des assurés des caisses de pension entre la rente et le retrait du capital de prévoyance?
15. Cassis de Dijon. Les denrées alimentaires autorisées en Europe doivent-elles l’être aussi en Suisse?
16. Ilot de cherté. Faut-il modifier la loi sur les cartels pour lutter contre les prix surfaits en Suisse?
17. Viandes préparées. Faut-il augmenter les droits de douane sur la viande assaisonnée pour privilégier les préparations suisses?
18. Tourisme d’achat. Faut-il limiter davantage l’importation de viande pour les privés?
19. Farines animales. Faut-il revenir sur l’interdiction des déchets d’abattage dans l’affourrage qui avait été décidée à la suite de l’épidémie de la vache folle?
20. Etiquettes. Faut-il préciser l’indication des matières premières sur les emballages de denrées alimentaires, à la suite du scandale de la viande de cheval dans les lasagnes?
21. Protection des consommateurs. Le Conseil fédéral devrait-il élaborer un rapport comparant la situation dans ce domaine entre la Suisse et l’UE?
22. Droits étendus. Faut-il renforcer les droits des organisations de défense des consommateurs dans le cadre de la loi sur les cartels?
gs / chr
Détails et liens sur les objets retenus