Le moins que l’on puisse dire, c’est que la notion de service public n’a pas la cote à Berne. Le 8 septembre dernier, les conseillers nationaux enterraient une modification de la Constitution visant à garantir l’accès de tous à l’eau, à l’électricité, aux soins ou aux transports. Une semaine plus tard, ils ont balayé l’initiative dite «Pro Service Public». Retour sur image.
Déposée en mai 2013, l’initiative «Pro Service Public» lancée par Bon à Savoir et ses partenaires alémaniques saldo, K-Tipp et tessinois Spendere Meglio vise à freiner les hausses de prix et le démantèlement des services imposés à la clientèle des entreprises dans les mains de la Confédération. Le texte veut aussi plafonner les rémunérations abusives des dirigeants des CFF, de La Poste et de Swisscom, qui gagnent aujourd’hui jusqu’à trois fois et demie plus qu’un conseiller fédéral.
La proximité des élections fédérales a donné des ailes aux parlementaires, puisque 30 d’entre eux, au moins, se sont succédé à la tribune. Tous faisant valoir comme un mantra que le texte fragiliserait les entreprises publiques. Or, leurs arguments se basent sur une interprétation fallacieuse du texte de l’initiative.
1. Réinvestir les bénéfices
Plusieurs parlementaires ont ainsi mentionné la prétendue interdiction de faire des bénéfices, ce qui ne figure pourtant pas dans le texte de l’initiative. Qui demande en revanche que, dans les prestations de base, «la Confédération ne vise pas de but lucratif». Les initiants entendent ainsi préserver les consommateurs de constantes hausses de prix. En 2014, Swisscom, dont la Confédération reste l’actionnaire majoritaire avec 51% des parts, a ainsi affiché un bénéfice net de 1,7 milliard de francs. Ce résultat a permis à la société d’allouer pour l’exercice 2014 un dividende de 22 fr. à ses actionnaires.
Contrairement à ce qu’ont affirmé de nombreux élus, les entreprises semi-publiques ne seraient pas obligées de boucler l’année dans les chiffres rouges! Si elles réalisent un bénéfice, celui-ci devra simplement servir à éponger les pertes éventuelles et être réinvesti dans la société.
2. Subventionnement croisé
Plusieurs conseillers nationaux ont aussi défendu le subventionnement croisé dénoncé par le texte de l’initiative. Ils ont, ici encore, mal lu leur copie: le rapporteur de la Commission des transports et des télécommunications, Roger Nordmann (PS/VD), a ainsi fait valoir que le trafic postal dans l’agglomération zurichoise doit continuer à financer l’acheminement du courrier à Evolène.
Or, «Pro Service Public» entend seulement mettre fin aux vases communicants qui profitent «à d’autres secteurs de l’administration»: contrairement aux craintes de Pierre-Alain Fridez (PS/JU), le trafic des grandes lignes CFF continuera ainsi à financer la desserte régionale. Il ne sera, en revanche, plus question d’affecter l’argent du service public à d’autres domaines, tels que l’armée ou l’agriculture. En résumé, les deniers gagnés par le service postal doivent profiter à La Poste, et ceux du rail, aux CFF.
3. But lucratif
Carton rouge enfin pour les parlementaires qui ont reproché à l’initiative d’avoir été lancée par une «entreprise privée à but lucratif». Ici encore, ils font fausse route puisque, les statuts de la société éditrice des magazines à l’origine de l’initiative indiquent clairement qu’elle ne verse aucun dividende et qu’elle ne poursuit aucun but lucratif. Ses éventuels bénéfices sont donc entièrement réinvestis… dans l’entreprise.
Zeynep Ersan Berdoz / gs
Sur la scène politique
Contrairement aux apparences, les liens entre partis politiques et entreprises publiques peuvent être très étroits, comme le démontrent les quelques exemples
ci-dessous.
➛Ulrich Gygi, président du conseil d’administration des CFF; Andrea Hämmerle, Peter Siegenthaler et Daniel Troillet, membres du même conseil d’administration, sont également membres du Parti socialiste (PS).
➛Peter Hasler, président du conseil d’administration de La Poste, est membre des libéraux-radicaux (PLR).
➛Katherine Amacker, membre de la direction générale des CFF, est ancienne conseillère nationale PDC.
Silence radio
Nous avons interpellé les CFF, La Poste et Swisscom afin de savoir si d’autres de leurs dirigeants étaient membres de partis politiques. Les trois ont catégoriquement refusé de répondre à cette question.