Les pharmaciens sont en colère. Et ils ne mâchent pas leurs mots lorsqu’ils évoquent les pharmacies en ligne suisses, ces gâche-métier qui, en vendant les médicaments par correspondance, sacrifient la relation de proximité du pharmacien avec son client et tout ce que cela implique en termes de conseils et de suivi. Les intéressées contestent. Elles rappellent qu’elles disposent de services de conseils téléphoniques, tout en insistant sur le fait que la vente en ligne permet de proposer des prix moins élevés. Et c’est bien dans ce but que de nombreuses caisses maladie vantent désormais les avantages des pharmacies en ligne. Mais qu’en est-il réellement? Pour le savoir, nous avons mené l’enquête avec notre partenaire On en parle (RSR, La Première). En nous basant sur deux ordonnances médicales, nous avons comparé les prix de pharmacies de quartiers n’offrant aucun rabais particulier à ceux de quatre pharmacies suisses disposant d’une autorisation cantonale exceptionnelle de vente en ligne et d’un site en langue française, soit www.mediservice.ch, www.pharmadirect.ch, www.zurrose.ch et www.distrimedic.ch, qui appartient à la chaîne Sunstore (prix identiques en magasin et en ligne). Pour commander auprès de ces sociétés, il faut s’inscrire sur le site, puis envoyer ses ordonnances par la poste. Zurrose.ch, dont les actionnaires sont pour la plupart médecins, propose aussi aux médecins un système de transmission électronique qui irrite fortement les pharmaciens: chaque fois qu’un médecin transmet une ordonnance par voie électronique à zurrose.ch, il touche jusqu’à 5 fr. par ligne d’écriture!
Différentes situations
Notre enquête montre que les pharmacies en ligne ne présentent pas le même intérêt selon les situations. Voici quelques cas de figure:
> Vous avez besoin de médicaments dans les plus brefs délais – Dans ce cas, les pharmacies en ligne sont inadaptées en raison de leurs délais de livraison (24 à 48 h) et elles le reconnaissent volontiers.
> Vous avez besoin de médicaments disponibles sans ordonnance – La loi oblige les pharmacies en ligne à demander une ordonnance à leurs clients pour tous les médicaments, y compris ceux en vente libre. L’achat dans une pharmacie conventionnelle apparaît donc plus simple et moins coûteux puisqu’il n’est pas nécessaire de se rendre chez un médecin pour y obtenir une ordonnance.
> Vous avez une ordonnance et le coût des médicaments qui y figurent est inférieur à 100 fr. – Pour analyser ce cas de figure, nous nous sommes basés sur une ordonnance comprenant quatre médicaments destinés à une pathologie courante (voir le tableau sur notre site internet*). Il en ressort que:
• Les pharmacies en ligne (de 57.65 fr. à 73.85 fr.) sont moins chères que celles de quartier (de 77.90 fr. à 79.90 fr.).
• Les prix de www.distrimedic.ch/Sunstore (identiques en magasin et en ligne) sont très concurrentiels et même inférieurs à ceux des pharmacies en ligne pour les assurés de certaines caisses.
Ceci dit, les pharmacies en ligne ciblent surtout les malades chroniques et leurs grosses commandes. Voyons donc de quoi il en retourne.
> Vous avez une maladie chronique nécessitant un traitement important – L’ordonnance qui sert de base à cet exemple (voir tableau) concerne un cas de diabète et d’hypertension impliquant la prise de sept médicaments. A nouveau, les pharmacies de quartier sont plus chères que leurs cousines en ligne et que Sunstore. L’écart maximal atteint quelque 105 fr. (de 695.30 fr. à 799.90 fr.), soit environ 15%, ce qui n’est pas négligeable, surtout si l’on n’a pas encore atteint la limite de sa franchise.
Perte du contact direct
Pour PharmaSuisse, la Société suisse des pharmaciens, cette économie se paie au prix lourd puisqu’«elle se fait au détriment des prestations de conseil qui sont indispensables tôt ou tard».
Il faut reconnaître que ce système rompt effectivement le contact personnel et humain de soutien et de suivi que le pharmacien peut entretenir avec un malade. Pour les sociétés en ligne, notamment zurrose.ch, cet élément est secondaire: «Les malades chroniques ont besoin régulièrement des mêmes médicaments. Ces patients permanents les connaissent bien et considèrent comme inéquitable de devoir payer à chaque fois la validation du traitement et des médicaments dans une pharmacie alors qu’ils n’ont aucun besoin de ce conseil.» PharmaSuisse estime au contraire que «ce sont précisément les malades chroniques qui méritent un soutien et une observation constante car ils sont plus sujets que d’autres à des maladies aiguës, compliquées et dangereuses, et que leurs maladies chroniques évoluent».
Dès lors, comment trancher? En évaluant sérieusement l’importance des conseils prodigués par son pharmacien et en se demandant si l’on est disposé à y renoncer au profit d’un service téléphonique.
Sébastien Sautebin
*Bonus web: Démonstration avec l'Ordonnance 2
Pour télécharger le tableau comparatif des produits, se référer à l'encadré au-dessous de la photo.