Les spectateurs sont toujours plus nombreux à se plaindre du volume trop élevé dans les salles de cinéma. Nathalie, elle, a tout bonnement renoncé au 7e art en salle. «Le son est beaucoup trop fort. L’expérience en devient pénible. A croire que les gens sont tous durs de la feuille», s’emporte-t-elle.
Les exploitants contreviendraient-ils à la réglementation légale en matière de son? Difficile de le savoir. En effet: il incombe aux cantons de vérifier que les cinémas respectent bien la législation. Les contrôles sont toutefois extrêmement rares, la priorité allant aux boîtes de nuit, aux salles de concert, aux festivals et aux autres manifestations dites «à risque». Quant aux gérants de cinéma, certains nous ont avoué ignorer tout bonnement l’existence de ces normes.
Du côté de ProCinema, enfin, ce n’est guère mieux. L’association suisse des exploitants et distributeurs de films ne fait, en effet, aucun contrôle. Son directeur, René Gerber, se dit persuadé «qu’aucun cinéma ne contrevient aux prescriptions légales sur le bruit et qu’une bonne qualité sonore à un volume qui n’est pas excessif constitue la règle».
Pour en avoir le cœur net, nous avons mené l’enquête avec nos confrères de l’émission On en Parle (RSR, La Première). Equipés d’un dosimètre et d’un sonomètre, nous nous sommes donc rendus, pendant la journée ou en soirée, dans seize salles de cinéma, réparties aux quatre coins de la Suisse romande, afin de relever les volumes sonores de trois films: Le Chat Potté, Twilight – Chapitre 4 révélation 1re partie et The Lady (voir tableau).
Normes respectées
Verdict: contrairement aux apparences, les cinémas respectent parfaitement la réglementation en vigueur. On est même très loin des limites imposées par la loi. Laquelle fixe le niveau sonore moyen admis dans les salles helvétiques à 93 décibels dB(A) par heure. Elle stipule également que le volume ne doit jamais dépasser les 125 dB(A), l’équivalent d’une sirène de pompier, par exemple.
Or, sur le film le plus bruyant de notre sélection, le niveau sonore moyen atteint à peine plus de 75 décibels. Soit le bruit d’un aspirateur! Il a été enregistré au Cinéma Rex de Neuchâtel pour le film The Lady. La palme du pic le plus élevé revient, quant à elle, au Cinéma Corso de Sion, avec 98.3 décibels sur le film Twilight, ce qui correspond à une route à circulation dense. Là encore, on est bien loin du maximum autorisé.
Nous avons toutefois constaté des écarts significatifs d’une salle à l’autre. Pour The Lady, par exemple, le volume était de 7 dB(A) plus élevé au Rex de Neuchâtel qu’au Lido de Delémont. Cela semble peu. L’échelle des décibels étant logarithmique et non pas décimale, les spectateurs neuchâtelois ont pourtant perçu le volume du film comme étant nettement plus fort que celui du Lido. Si la différence avait atteint 10 décibels, le volume aurait alors été ressenti comme deux fois plus fort.
«Les niveaux relevés ne présentent aucun danger pour l’ouïe, indique Raphaël Maire, médecin adjoint au Service d’ORL du CHUV, à Lausanne. Toutefois, le seuil de tolérance auditive diffère d’une personne à l’autre. Un son peut, par conséquent, être ressenti comme incommodant même s’il ne présente aucun risque de lésion auditive. En cas de sensibilité personnelle, rien n’empêche de porter des tampons auriculaires pour atténuer un peu le bruit», explique encore le spécialiste. A condition de bien les choisir (lire notre test dans BàS 11/2011).
Comment le son est trafiqué
Nous voilà donc rassurés. Adulte ou enfant: personne ne sortira sourd d’un cinéma!
Mais cela n’explique toujours pas pourquoi les spectateurs se plaignent du volume trop élevé, notamment pendant les films d’action ou encore ceux dont les effets spéciaux sont nombreux. Le hurlement des loups dans Twilight nous a, par exemple, pratiquement fait sauter les tympans au Rialto de Genève.
Le coupable? La compression de la dynamique du son, soit la différence entre les sons les plus faibles et ceux les plus forts*. Une appellation barbare, pour un procédé qui fait pourtant le bonheur des producteurs au moment du mixage des films. Il est aussi couramment employé à la radio.
La compression des sons permet en effet aux ingénieurs du son de «trafiquer» le volume pour qu’il paraisse plus fort qu’il ne l’est en réalité. Le procédé est très complexe, mais, grosso modo, il consiste à augmenter les sons faibles, tout en réduisant les sons forts pour, ensuite, amplifier le tout et augmenter ainsi la sensation de puissance sonore. Grâce aux compresseurs multibandes, l’effet peut s’appliquer non seulement sur les fréquences moyennes, celles que l’oreille entend le plus, mais aussi sur les aiguës ou les basses. En supprimant les silences, et donc les plages de repos pour le cerveau, la compression engendre toutefois un risque de fatigue auditive plus important, selon certains spécialistes.
Dès lors, pourquoi les exploitants des salles ne baissent-ils pas le volume pour augmenter le confort auditif des spectateurs? Difficilement réalisable pour Teodor Teodorescu, directeur de Pathé Romandie. Selon lui, le niveau du son varie en fonction du nombre de spectateurs, de la taille de la salle, mais aussi du type d’installation sonore. «Les opérateurs ne peuvent donc pas passer leur temps à monter ou à baisser le volume», précise de son côté Xavier Pattaroni, programmateur du groupe CinEmotion, à Fribourg. En règle générale, l’intensité sonore est réglée, pour chaque film, lors de la première projection.
Pour améliorer leur confort, les oreilles sensibles choisiront un siège situé le plus loin possible des haut-parleurs (au milieu ou à l’arrière de la salle.) On n’hésitera pas non plus à s’adresser au personnel du cinéma. Tous les exploitants nous ont en effet affirmé avoir la possibilité de moduler le volume, si besoin est, et pour autant que cela soit justifié. La sensibilité au bruit étant hautement subjective, ce n’est pas forcément gagné d’avance…
Chantal Guyon
Bonus web: La compression du son expliquée en vidéo