L’évocation du Piémont a le don de retourner les sens des gourmets. Il y a la divine truffe blanche qui miroite dans leurs yeux ou le reflet profond d’un Barolo ou d’un Barbaresco. Mais se réfugier derrière ces grands classiques, c’est oublier la diversité du terroir piémontais et de ses plaisirs gustatifs.
Dans l’univers viticole, la barbera souffre précisément de la comparaison avec la noblesse du nebbiolo qui magnifie les deux ténors précités. Plantée un peu partout en Italie – c’est le deuxième cépage le plus répandu après le sangiovese –, la barbera s’est longtemps cantonnée au rôle de teinturier dans les assemblages. Mais, avec l’avènement des appellations d’origine contrôlée Barbera d’Asti et Barbera d’Alba, en 1970, elle a progressivement retrouvé du crédit.
Pas de miracle pour 3 fr.
De là à clamer que ce cépage, d’origine piémontaise, produit des vins d’exception, il y a un pas que notre dégustation à l’aveugle n’a pas franchi. Aucune des onze bouteilles retenues n’a provoqué une avalanche de superlatifs. L’une d’entre elles, le Barbera d’Asti de la cave Tre Secoli, a même été déclassée pour sa qualité affligeante. L’ouverture de deux bouteilles n’y a rien fait: l’une comme l’autre présentaient des défauts marqués. «C’est à se demander s’il y a du raisin», a ironisé l’un des dégustateurs. Problème de lot ou problème tout court, ce produit proposé chez Denner à 2.95 fr. ne valait pas même son vil prix.
Un autre Barbera d’Asti, l’Antica Cascina de Lidl, est lui aussi vendu moins de 3 fr. Pas franchement étincelant, mais il a au moins le mérite d’être buvable. Sa pointe d’acidité et son manque de corps montrent, malgré tout, qu’il est difficile de proposer un produit de qualité à 2.95 fr. D’ailleurs, on peut se demander la part consacrée à la production, après avoir déduit les prix du flacon, du bouchon et de l’étiquette, les frais de transport et la marge du distributeur…
Une star à la peine
S’il est chimérique de tomber sur un nectar d’exception à 2.95 fr., il est légitime d’avoir des attentes élevées lorsqu’on débourse 49 fr. pour une bouteille! C’est le cas du célèbre Bricco dell’Uccellone qui a contribué à redorer l’image des Barbera d’Asti à son lancement en 1982. Son prestige ne s’est hélas pas confirmé: le jury a pointé du doigt sa concentration excessive et ses notes animales trahissant une oxydation prématurée. Claire Mallet s’est montrée plus nuancée que ses confrères en appréciant «la puissance et la profondeur» de l’ensemble.
A sa décharge, le Bricco dell’Uccellone a été pénalisé par un millésime 2013 défavorable aux barberas piémontaises. Les deux autres 2013 de notre lot n’ont d’ailleurs pas fait le poids face aux meilleures bouteilles de 2014 et de 2015. Mais, à un prix aussi exclusif (49 fr.), un vin devrait témoigner d’un savoir-faire qui compense – du moins partiellement – la médiocrité d’un millésime.
Même duo de tête!
Les déceptions passées en revue, place aux bouteilles les plus convaincantes. La surprise, c’est que le duo de tête est identique à celui qui avait dominé une dégustation publiée en 2007 dans Tout Compte Fait, malgré un jury différent! La luna e i falò 2014 a plu pour son équilibre général: «C’est un vin qui a une belle matière et intègre bien l’acidité de la barbera», commente Claudio De Giorgi.
En embuscade, le Raimonda 2015 est un cru au caractère plus rustique. «Il manque certes d’un peu d’élégance, mais c’est un vin plaisant à boire qui représente bien le cépage», note René Roger. Le Barbera d’Alba 2014 de la Cave Tenuta Cappallotto qui termine 3e dévoile un autre visage encore. «C’est un style plutôt classique avec une attaque chaleureuse et une belle fraîcheur», apprécie Thibaut Panas.
La personnalité très différente du trio de tête est révélatrice. Elle illustre la versatilité d’un cépage qui peut dévoiler des facettes très diverses d’une bouteille à l’autre.
Yves-Noël Grin
Eclairage
Supérieur en quoi?
L’étiquetage des vins regorge de mentions aussi diverses que floues pour le consommateur. Les crus transalpins ne font pas exception avec des spécifications comme «riserva», «classico» ou «superiore». L’avantage, c’est que même les anglophones n’ont pas à se farcir des cours d’italien pour les traduire.
Parmi les onze bouteilles dégustées, quatre portaient la mention «superiore». Mais, même entre des appellations si proches que Barbera d’Asti et Barbera d’Alba, les exigences divergent! Pour la première, les vins ont notamment droit à la spécification «superiore» s’ils titrent à plus de 12,5% et s’ils ont été élevés pendant quatorze mois au moins, dont six en des fûts de chêne. Les Barbera d’Alba peuvent afficher «superiore» dès 12,5% et après un élevage de douze mois au moins, dont quatre en fûts de chêne.
Bref, cette mention se veut rassurante pour le badaud qui craint la piquette. Mais elle n’est pourtant pas un gage de qualité.