L’Office AI du canton de Saint-Gall avait de sérieux doutes. Il a donc mandaté un détective privé pour surveiller une assurée bénéficiant d’une rente d’invalidité en raison de douleurs dorsales. Ce dernier l’a filmée en train d’astiquer joyeusement son balcon et de porter ses courses sans peine. La rente a été supprimée.
En Suisse, diverses assurances, mais aussi des entreprises, des études d’avocats ou encore de simples citoyens recourent aux services de détectives privés. Fraude à l’assurance, filature d'un conjoint volage, enquête sur des problèmes de voisinage ou encore vérification de CV de cadres supérieurs, les émules de Sherlock Holmes se voient confier des mandats nécessitant des recherches parfois sensibles, aux frontières de la légalité.
Autorisation à Genève et à Neuchâtel
Or, cette profession ne fait l’objet d’aucune réglementation fédérale. Entendez par là qu’aucune compétence ou formation spécifiques ne sont requises et que n’importe qui peut, en toute légalité, se déclarer détective privé (lire encadré). Une poignée de cantons, dont Genève et Neuchâtel en Suisse romande, font certes exception en soumettant l’exercice de la profession à autorisation: là, un extrait de casier judiciaire est notamment demandé. A Saint-Gall et en Thurgovie, il faut des connaissances en droit. Mais ailleurs, rien!
Le détective que vous avez engagé peut donc avoir passé la moitié de sa vie derrière les barreaux. Il est peut-être aussi totalement incompétent, puisqu’il n’existe aucune filière de formation officielle. Et cela n’est pas toujours sans conséquences. Un enquêteur connaissant mal le droit franchira peut-être les limites de la loi en récoltant des preuves. Elles n’auront alors aucune valeur si elles sont présentées devant un tribunal et la partie incriminée pourra même se retourner contre celle qui les a apportées.
Nombreuses critiques
La situation est différente chez certains de nos voisins. La France, par exemple, propose désormais un diplôme d’Etat sous la forme d’une formation universitaire de deux ans, axée sur les aspects juridiques et pratiques, qu’on peut notamment suivre à la très réputée Université Panthéon-Assas, de Paris.
En Suisse, l’absence de réglementation ne plaît pas à tous les membres de la profession. «En choisissant une adresse au hasard, vous avez deux chances sur trois de tomber mal», déplore Jo Georges, directeur de l’Ecole professionnelle de détectives privés et gardes du corps et de sécurité (EPDP), un centre de formation privé basé en Valais. Christian Sideris, patron de l’agence CS Enquêtes à Genève, n’est pas plus tendre et met en garde contre certains individus, «vendeurs au rayon fruits et légumes durant la semaine et détectives le week-end».
Quand on sait qu’une filature peut coûter plusieurs milliers de francs et que les tarifs horaires demandés vont de 70 fr. à 150 fr. de l’heure, on se dit qu’il vaut mieux faire le bon choix parmi les quelque 500 détectives privés que compte la Suisse romande. Les institutions ont leur méthode.
Du côté de l’Office de l’assurance invalidité pour le canton de Vaud, on précise que les AI cantonales s’échangent les bonnes adresses lorsqu’elles recourent aux services d’un enquêteur privé. Elles travaillent ainsi toutes plus ou moins avec les mêmes personnes, qui ont entre cinq et quinze ans d’expérience. La sélection se fait sur la base d’une rencontre, avec discussion, examen des références et recherche d’informations, notamment sur internet.
Comment choisir
Mais comment faire si l’on est un simple citoyen? Certaines études d’avocats recourent régulièrement aux services de détectives. On peut donc contacter son avocat et lui demander s’il a une adresse à conseiller ou s’il peut en trouver une auprès de collègues. A défaut, les éléments suivants constituent une bonne base de sélection.
- La longévité: préférer une agence qui existe depuis longtemps, ce qui est un gage de sérieux.
- La visibilité: quand une agence dépense de l’argent pour être visible, cela montre aussi qu’elle en gagne, et donc que des clients lui font confiance. Les professionnels sérieux ont notamment un site web.
- Le lieu de rencontre: éviter les détectives qui fixent des rendez-vous dans des cafés ou des parcs. Un enquêteur doit posséder un bureau où il reçoit, rédige ses rapports et mène ses auditions.
- Le parcours professionnel: un passé d’inspecteur de police judiciaire/de sûreté est un avantage certain. Il garantit un savoir-faire en matière d’enquêtes, acquis dans les rouages de l’Etat.
Monsieur X: historien, architecte ou polisseur de cure-dents
Secrétaire médical, chaman, cuisinier, tatoueur ou encore épicier: autant de professions qui ne sont pas réglementées en Suisse. Il est donc possible de les exercer sans posséder un diplôme précisé par la loi. En fait, les professions réglementées sont très minoritaires: médecin, bien sûr, avocat, notaire, etc. Il y en a moins de 200 selon l’Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie (OFFT), qui en propose une liste sur son site. Le nombre de métiers non réglementés est, quant à lui, infini, puisqu’il est tout à fait possible d’inventer sa profession sur mesure. Vous vous revendiquez polisseur de cure-dents? Pas de problème! Bien évidemment, trouver du travail ou des clients est une autre affaire.
La question du port du titre de formation est un peu plus complexe. On peut se déclarer par exemple maçon, mais pas maçon CFC qui est protégé, idem pour boucher, mais pas boucher-charcutier CFC. Et puis, il y a les affres du fédéralisme, qui font qu’une profession est réglementée dans un canton et pas dans un autre. C’est le cas, par exemple, pour les détectives privés. Plus surprenant, «n’importe qui peut être architecte en Suisse alémanique, la profession étant complètement libre. En revanche, une formation est exigée dans la plupart des cantons romands», précise Frédéric Berthoud, coordinnateur suisse pour la reconnaissance des diplômes à l’OFFT. Mais le spécialiste relève, au passage, que les maisons d’outre-Sarine ne s’écroulent pas plus que dans les pays voisins où cette profession est ultraréglementée…