«La Suisse, paradis des concours bidon» titrait Bon à Savoir le 8 novembre… 2000! Onze ans plus tard, rien n’a vraiment changé. Un exemple? Mineralis Versand. Comme d’autres, cette société zougoise de vente par correspondance incite les destinataires de ses courriers à passer commande en leur faisant croire qu’ils ont remporté une grosse somme à un concours. Et, pour y parvenir, elle met le paquet, comme le montre un document transmis par l’un de nos lecteurs, Michel Vionnet, destiné à son amie. Extraits: «Madame Kessler. C’est confirmé: les 30 000 fr. vous appartiennent! (…) Décidez vite du jour auquel nous pourrons vous les remettre.» La destinataire a répondu et passé commande. Mineralis Versand en a alors rajouté une couche avec un second courrier demandant à l’intéressée de confirmer, tout en passant de nouveau commande, une date de rendez-vous à son domicile. Celle-ci s’est exécutée, mais la société zougoise, elle, n’est jamais venue… Pas dupe, Michel Vionnet a tout de même écrit à deux reprises, sous pli recommandé, au directeur de la société pour dénoncer cette pratique déloyale. Il n’a jamais reçu de réponse et a décidé de transmettre le dossier aux autorités fédérales.
Pas d’escroquerie
Bien évidemment, on se demande pourquoi ces maisons de vente par correspondance peuvent agir ainsi avec une telle impunité. Les raisons sont multiples. Pour commencer, elles sont souvent conseillées par des avocats habiles qui font en sorte que tout soit à la limite de la légalité. Les formules racoleuses sont généralement accompagnées de conditions générales en petits caractères stipulant, par exemple, qu’«aucun client destinataire n’a gagné au préalable».
Au niveau pénal, leurs agissements ne peuvent généralement pas être qualifiés d’escroquerie, qui est poursuivie d’office. En effet, selon la loi, pour qu’il y ait escroquerie, il faut que la personne soit «astucieusement induite en erreur». Or, «comme ces promesses de gain sont totalement irréalistes, il n’y a pas d’astuce, donc pas d’escroquerie, résume Alain Jeanmonod, directeur de la Commission des loteries et paris (Comlot). Il incombe au consommateur de ne pas être naïf et de ne pas tomber dans le piège.»
Et l’argent qu’elles font miroiter? «En droit des contrats,
il est presque impossible d’obtenir les gains promis, explique Ariane Morin, professeur de droit à l’Unil, parce que ces promesses doivent se comprendre comme des affirmations publicitaires et non de véritables offres de contracter.»
Révision de la LCD
Reste la loi contre la concurrence déloyale (LCD), censée permettre de réprimer ces pratiques. Mais, au vu des frais élevés qu’entraîne une action en justice, qui découragent tant les organisations de consommateurs que les citoyens d’agir, il faudrait que la Confédération puisse elle-même intervenir. Or, en l’état actuel de la loi, le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) n’a le droit d’intervenir lors de pratiques commerciales déloyales provenant de sociétés suisses que si des personnes résidant à l’étranger sont touchées! Une modification de la LCD, autorisant notamment le Seco à agir aussi en faveur de personnes résidant en Suisse, a été présentée au Parlement ce printemps. Cependant, des divergences subsistent entre les Chambres sur d’autres aspects de la loi. Si la procédure de conciliation n’aboutit pas, toute la révision de la LCD sera enterrée et on en restera à la situation actuelle.
Cela dit, il ne faudra pas non plus attendre des miracles du Seco. Devant les juges, les résultats restent aléatoires. Exemple: une plainte des organisations de consommateurs a, dans les années 1980, permis de neutraliser Kurfürst-Versand, mais une autre contre Herzversand, en février 1997, a été classée.
Bon à Savoir a aussi fait l’expérience du peu d’empressement de certains magistrats à traiter ce type d’affaires. La plain te pénale qu’une de nos lectrices, soutenue par la rédaction, a déposée en 2007 contre Brillant Versand en est toujours au point de départ, après 8000 fr. de frais d’avocat et trois juges successifs! Face à cette situation, la meilleure attitude reste celle, en forme d’aveu d’impuissance, que préconise le Seco: «Jeter ces envois publicitaires à la poubelle.»
Sébastien Sautebin