L’affaire est banale, mais elle empoisonne chaque jour l’existence de nombreux consommateurs. Qui n’a jamais reçu dans sa boîte aux lettres des promesses de gains, souvent certifiées par un notaire bien évidemment inconnu?
10 000 fr. par-ci, 30 000 fr. par-là, à condition – bien sûr – de répondre très vite et… de commander des articles.
En 2005, Odette Jaquerod, de Morgins (VS), se laisse convaincre par un prétendu gain de 30 000 fr. annoncé par la société Brillant Versand, dans un courrier expédié d’Allemagne. Comme demandé, elle renvoie dans les 48 heures le formulaire, confirmant la commande préinscrite de graines de gazon. Notre lectrice reçoit la marchandise et la facture, mais aucune trace du chèque promis. Elle téléphone alors au numéro indiqué pour s’entendre dire qu’elle n’a rien gagné!
Le mécanisme est bien rodé: des formules racoleuses laissent croire au destinataire qu’il va recevoir un montant important, alors que les conditions imprimées en très petits caractères, noyées dans une masse de textes, stipulent que l’intéressé n’a gagné que le droit de participer à un nouveau tirage au sort…
Depuis, Odette Jaquerod est régulièrement démarchée par Brillant Versand et d’autres sociétés agissant de manière similaire. Excédée par ces pratiques peu scrupuleuses, dont les victimes sont le plus souvent des personnes âgées, elle saisit l’occasion d’un nouvel envoi pour contacter Bon à Savoir.
La rédaction et son Service juridique (lire page 29) décident d’engager une action pénale contre Brillant Versand et mandatent un avocat qui se charge de rédiger la plainte. Celle-ci est officiellement déposée le 2 février 2007 par Odette Jaquerod auprès du juge d’instruction du Bas-Valais, son lieu de résidence. Notre objectif? Condamner cette société aux méthodes de vente déloyales, afin de donner un signal clair à ceux qui tentent d’abuser de la confiance des consommateurs.
Epopée juridique
Malgré un dossier établissant des liens entre Brillant Versand et Garantie Versand, une société utilisant les mêmes procédés, dont la condamnation pénale a été confirmée en 2002 par le Tribunal fédéral, le dossier d’Odette Jaquerod traîne pendant plus d’une année sur le bureau de la juge d’instruction. Ce n’est qu’au printemps 2008 que notre lectrice est entendue par la section financière de la police cantonale valaisanne. Les demandes répétées de Me Ralph Schlosser, avocat mandaté par Bon à Savoir, n’y font rien: impossible d’obtenir une copie du rapport de police, ni d’en savoir plus sur l’évolution du cas. A chaque relance, la réponse de la juge est similaire: «Je fais le nécessaire pour pouvoir vous donner satisfaction à bref délai.»
Au mois d’août dernier, le dossier passe entre les mains d’un nouveau juge d’instruction qui, peu après, le cède à son collègue Alexandre Sudan. Ce dernier, approché par la rédaction à la fin mars, nous informe avoir demandé le transfert de l’affaire au Ministère public de la Confédération, «car elle prend une tournure internationale.» Ce dont on pouvait se douter, puisque les courriers proviennent d’Allemagne et que seule une case postale à Schaffhouse est mentionnée sur l’enveloppe litigieuse.
Désinvolture ou faiblesse
Trois ans plus tard, après 8000 fr. de frais d’avocat et trois juges successifs, le dossier en est donc toujours à la case départ. Pourquoi?
Simple désinvolture ou aveu de faiblesse? Délicat de trancher. Une certitude: les magistrats avouent ne pas être à l’aise dans l’application de loi contre la concurrence déloyale (LCD), qu’ils connaissent assez mal.
Or, ce texte est actuellement en cours de révision. Si le projet, tel que présenté aux Chambres fédérales, entre en vigueur – au plus tôt en janvier prochain –,
il permettra de renforcer la coopération entre autorités suisses et étrangères.
Ce nouvel outil légal ne changera cependant pas les mentalités. Nicolas Cruchet, substitut et suppléant du juge d'instruction cantonal vaudois, est on ne peut plus clair à ce sujet: «La justice pénale n’est pas là pour protéger la naïveté des consommateurs.»
A chacun d’apprécier. Et à nous de poursuivre – plus que jamais – notre mission d’information.
Zeynep Ersan Berdoz