Le principe de précaution est-il menacé par l’accord de libre-échange Tafta, négocié entre l’UE et les USA ? C’est la crainte qu’expriment plusieurs ONG suite à la publication par Greenpeace, il y a deux jours, de documents confidentiels sur des négociations très opaques menées depuis trois ans.
L’organisation de défense des consommateurs Foodwatch affirme, notamment, que les fuites confirment ses «pires craintes», puisque «le principe de précaution est tout simplement absent du texte».
Pour mémoire, ce principe, appliqué aussi en Suisse, permet d’empêcher la distribution de produits, ou même de les retirer du marché, lorsqu’il existe un doute fondé sur leur innocuité. Il autorise ainsi une réaction rapide dans le but de protéger la santé des consommateurs, alors que l’établissement de preuves scientifiques sur la dangerosité d’un produit peut nécessiter de nombreuses années.
A contrario, aux USA, un aliment peut rester sur le marché tant que sa dangerosité n’est pas prouvée. D’où la crainte de certaines associations de voir le principe de précaution disparaître et nos standards abaissés au niveau nord-américain. La polémique a rapidement pris une telle ampleur que la commissaire européenne au commerce, Cecilia Maelström, est montée au créneau, promettant, à qui veut bien la croire, que «que les accords commerciaux ne changeront pas nos lois sur les OGM ou sur la façon de produire de la viande de bœuf en toute sécurité (…)». Selon cette dernière, les documents publiés «ne traduisent pas ce qui résultera de la négociation».
Principe de précaution et vache folle
L’enjeu est donc de taille, car, comme le souligne à juste titre Foodwatch, le principe de précaution est tout sauf un concept abstrait. Il a des conséquences bien réelles sur nos vies. Quelques exemples parmi d’autres:
> En 1998, alors qu’éclate le scandale de la vache folle, le principe de précaution permet aux Européens d’imposer un embargo sur la viande de boeuf britannique, alors que les scientifiques étaient en plein débat sur la transmission de la maladie à l’être humain.
> En 2011, suivant le principe de précaution, la France interdit la fabrication et la commercialisation de biberons concernant du bisphénol A. Ce composé organique était en effet suspecté de provoquer des troubles de la reproduction et le cancérigènes, mais ces effets, observés chez certains animaux, n’avaient pas été prouvés sur l’homme par des études épidémiologiques.
> Dans le cas du bœuf aux hormones, autorisé aux USA mais interdit en Europe, les états du vieux continent ont justifié leur interdiction par le principe de précaution.
> En Suisse, les autorités sanitaires ont décidé, en novembre 2015, de suivre le principe de précaution pour interdire la consommation et la commercialisation des truites du Léman supérieures à 54 cm, en raison de teneurs de PCB supérieures aux normes.
> En juin 2013, en revanche, le Conseil national a refusé d’appliquer le principe de précaution pour suspendre quatre insecticides afin de tenter de limiter la mortalité des abeilles. La majorité a estimé que les soupçons n’étaient pas suffisants.
Sébastien Sautebin