Les gouvernements et les administrations sont-ils vraiment aussi transparents à l’égard de leurs citoyens qu’ils le prétendent? Les journalistes ne sont en effet pas les seuls habilités à demander des comptes à l’Etat. Le quidam l’ignore la plupart du temps, mais il dispose du droit de consulter des documents officiels. La demande est gratuite et elle n’a pas à être motivée. Elle doit toutefois être suffisamment précise pour permettre d’identifier le document désiré (lire encadré ci-contre).
Pour autant, les citoyens ont-ils vraiment accès à ceux qui les intéressent? Bon à Savoir et l’émission On en Parle (RSR-La Première), ont donc décidé de soumettre les cantons romands et la Confédération à l’épreuve de la transparence.
Pour les besoins de notre enquête, nous avons donc envoyé, le 18 juillet dernier, une requête à différentes administrations cantonales et fédérales portant sur des thèmes allant du nombre d’infections nosocomiales contractées dans les hôpitaux du canton aux statistiques de la criminalité. Nous avons également sollicité le chef-lieu de chaque canton (lire encadré ci-contre). Afin que nos demandes soient traitées de la même manière que celles d’un citoyen lambda, nous nous sommes donc fait passer comme tel en créant cinq comptes mails fictifs.
Les délais de réponse imposés par la loi variant d’un canton à l’autre (15 jours dans le canton de Vaud et 20 dans l’Administration fédérale, par exemple), nous avons considéré les réponses intervenant jusqu’à 30 jours après l’envoi de la requête.
Les résultats
La priorité accordée à l’information complète et rapide du citoyen diffère selon les services et les questions posées. Dans 20% des cas, nous n’avons pas obtenu de réponse (voir tableaux): neuf de mandes sur les 40 envoyées ont obtenu l’évaluation «insatisfaisant». L’Office de l’enseignement secondaire du canton de Berne écope du bonnet d’âne. Il nous a en effet demandé notre adresse postale pour, ensuite, relever que nous n’habitions pas dans le canton et nous demander, enfin, quel usage nous entendions faire des renseignements sollicités. Or, le citoyen n’a pas à motiver sa requête!
Huit demandes de renseignement demeurent sans réponse, dont celle concernant le taux d’échec scolaire par niveau dans le canton de Vaud. Interpellé, le Gouvernement vaudois conteste cette évaluation. Selon lui, «la Direction générale de l’enseignement obligatoire a fait savoir qu’une réponse serait donnée au retour des vacances: une personne réelle se serait satisfaite de cette réponse ou, alors, aurait aussitôt abordé l’administration pour obtenir une réponse plus rapidement».
La mention «très bon» a été attribuée à huit réponses. Distinction spéciale pour le canton de Vaud concernant la qualité de l’eau. L’inspecteur des eaux nous a en effet proposé une rencontre pour consulter sur place les nombreux documents disponibles.
Pas une priorité à Genève
Neuf réponses enfin ont obtenu l’évaluation «bon» et 14 «satisfaisant». C’est notamment le cas de la Police cantonale genevoise concernant les statistiques de la criminalité. Seul son site nous a été fourni, alors que le lien direct vers les statistiques existe. Appelé à se prononcer sur les résultats de son canton, Mark Muller, président du Conseil d’Etat, a estimé qu’il ne lui «appartient pas de répondre à ce type de question». Isabelle Dubois, préposée à la protection des données et à la transparence à Genève, estime, de son côté, que l’application de la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données (LIPAD) n’est toujours pas une priorité dans la Cité de Calvin. Un constat d’ailleurs soulevé par un rapport de la Commission d’évaluation des politiques publiques en 2009 déjà. Soit sept ans après l’entrée en vigueur de la LIPAD!
Chantal Guyon
Bonus web: lettre type pour une demande d'accès
Pour télécharger le tableau comparatif, se référer à l'encadré au-dessous de la photo.
LES COULISSES DU TEST
Liste des questions posées
Nous avons envoyé dix questions portant sur les thèmes indiqués ci-dessous aux autorités cantonales (de 1 à 5) et fédérales (de 6 à 10).
- Nombre d’infections nosocomiales contractées dans les hôpitaux publics du canton en 2009 et 2010.
- Statistiques cantonales de la criminalité en 2010.
- Qualité de l’eau dans le canton.
- Taux d’échec scolaire par niveau dans le canton ainsi que par établissement.
- Montant des taxes de parcage et des amendes perçues sur le sol public du chef-lieu. Le nombre d’effectifs attribués à la perception des taxes de parcage et des amendes sur le sol de la commune.
- Rapports des cantons de Vaud et de Genève pour 2010 concernant l’activité des autorités de conciliations en matière de baux à loyer.
- Décisions émises en 2010 et 2011 dans le cadre de l’assurance maladie.
- Coût du stress en Suisse.
- Evaluation de la qualité du service universel, tant postal que des télécommunications.
- Nombre de demandes d’autorisation d’organiser un vote électronique déposées par les cantons en 2010 ainsi que les éventuels rapports remis par ces derniers à la Chancellerie fédérale au terme des votations.
CONSEILS PRATIQUES
Transparence encore méconnue du grand public
La loi sur la transparence permet l’accès aux rapports, correspondances, études, préavis, décisions ou encore aux statistiques et aux registres des administrations. Les brouillons de lettres ou les notes à usage personnel ne sont en revanche pas considérés comme des documents officiels. C’est le cas également pour ceux émis avant l’entrée en vigueur de certaines lois cantonales et de la législation fédérale.
En clair, la transparence est devenue la règle et le secret l’exception. Encore faut-il, dans ce cas, qu’il soit prévu par la loi! Il en va ainsi, lorsqu’un intérêt public ou privé prépondérant l’exige: mise en danger de la sûreté de l’Etat ou violation de la protection des données, etc. L’accès pourra alors être refusé, limité ou retardé. «Les lois autorisent l’accès à des documents officiels, mais elles ne donnent pas le droit d’obtenir une information, rappelle Martial Pasquier, professeur à l’Institut de hautes études en administration publique (Idheap). Si l’information demandée n’est contenue dans aucun document ou sur aucun support, rien n’oblige l’administration à la fournir.»
S’il n’obtient pas de réponse satisfaisante, le citoyen n’est pas pour autant totalement désarmé: il peut déposer une demande en médiation auprès du préposé cantonal à la protection des données et à la transparence. Excepté dans le canton de Berne où cette dernière doit être adressée directement au chancelier. Les délais pour agir varient de 10 à 30 jours, selon les cantons.
Les demandes de médiation concernant l’Administration fédérale doivent, elles, être adressées au préposé fédéral dans les 20 jours. Attention: il faudra parfois s’armer de patience. En mars 2010, nous avons ainsi déposé, avec nos confrères de l’émission On en Parle, une demande d’accès auprès du Département fédéral de l’environnement dans le cadre d’une enquête sur la qualité du diesel vendu dans les stations-services (lire BàS 4/2010) . Lequel a refusé de nous donner les relevés effectués par les distributeurs.
Nous avons donc fait appel au préposé fédéral en juin de cette même année. Pour, finalement, obtenir gain de cause le 16 mai dernier seulement (lire BàS 7-8/2011)!