Coup de tonnerre à Bruxelles! Quatre jours avant Noël, la Commission européenne a été obligée de renoncer à son projet de loi permettant de réglementer les perturbateurs endocriniens (lire «La définition qui déçoit tout le monde», BàS 10/2016). Faute de majorité au Parlement, la Commission doit donc revoir sa copie.
Pourtant, les dés semblaient jetés! Bien que le texte proposé par la Commission ait déplu à tout le monde, il avait le mérite de permettre enfin l’élaboration d’une réglementation au niveau européen. Cela après trois ans de retard et un imbroglio juridico-scientifique digne des meilleurs polars. Deux actions, détaillées ci-dessous, ont mis le feu aux poudres de ce compromis obtenu de haute lutte.
La France dit «non»
D’abord, une lettre* de Ségolène Royal, ministre française de l’Environnement, adressée à Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne: «Malheureusement, si elle était adoptée en l’état, cette évolution réglementaire marquerait un recul dans l’action de l’Union européenne de protection de la santé de nos concitoyens et de notre environnement.» Dans son sillage contestataire, la France a convaincu l’Espagne, la Suède et le Danemark à rejeter le texte.
La phrase qui fâche
Ensuite, une phrase problématique a été ajoutée à la fin du texte peu de temps avant le vote. Sa formulation (lire exergue en encadré) était censée passer inaperçue et a été ajoutée à la demande de l’Allemagne.
Ce qu’elle signifie? Qu’une substance perturbatrice endocrinienne n’en est plus une en fonction des organismes qu’elle affecte. C’est un peu comme si on disait qu’un filet de pêche permettant de capturer des thons, n’est plus un filet de pêche parce qu’il capture également des dauphins…
Ce paragraphe a été ajouté pour protéger l’industrie chimique, comme l’a révélé le journal Le Monde, du 20 décembre 2016: «Cette dérogation majeure est en fait une vieille demande de l’industrie des pesticides. Elle a été développée par le trio des fabricants de pesticides qui seront les plus touchés par la réglementation: les géants allemands BASF (numéro un mondial de la chimie) et Bayer (en cours de fusion avec Monsanto) ainsi que le groupe suisse Syngenta. Dans un document daté de 2013, des employés de ces trois groupes plaident en faveur d’une dérogation.» Au final, ce sont donc une quinzaine de pesticides qui pourraient être protégés.
Agir
Choquée notamment par ces ententes entre la Commission européenne et l’industrie des pesticides, l’Endocrine Society – qui compte quelque 18 000 chercheurs et cliniciens spécialistes du système hormonal – a pris position très fermement contre le projet de réglementation. Leur argumentation est basée sur une certitude: il n’existe pas de controverse scientifique quant à l’existence des perturbateurs endocriniens et tous les milieux dénoncent l’absence de réglementation protégeant la population. Elle dénonce, en revanche, l’existence d’une fabrique du mensonge et du doute créé de toutes pièces.
Pour agir sur la question, une centaine de scientifiques ont lancé une pétition* (elle a déjà obtenu plus de 280 000 signatures) pour faire bouger les lignes et, enfin, traiter ces substances comme il se doit: en les réglementant avec fermeté pour protéger la population.
Et la Suisse?
La Confédération observe depuis plusieurs années les procédures européennes en cours, sans y prendre part activement. Elle se contente de réagir au cas par cas et propose des documents actualisés régulièrement sur internet. Lorsque la réglementation sera enfin sous toit, elle l’appliquera certainement, accords bilatéraux obligent!
Annick Chevillot
La phrase qui fâche:
«Les produits à pesticides qui sont conçus pour avoir un effet sur les organismes cibles avec un mode d’action de perturbateur endocrinien ne pourront pas être considérés comme des PE pour leurs effets sur les organismes non ciblés.»
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