La pandémie a eu des effets insoupçonnés sur cette habitante des Verrières. Odile Churchward avait encore 69 ans quand elle a reçu une invitation à faire le dépistage du cancer du côlon. «Je n’y ai pas répondu tout de suite parce que, entretemps, j’ai attrapé le covid», raconte la lectrice.
Elle se rend deux mois plus tard chez le pharmacien pour recevoir le kit d’analyse des selles. En vain: les examens sont remboursés jusqu’à 69 ans seulement (lire encadré). Or, Odile Churchward a soufflé ses 70 bougies deux semaines plus tôt! La Neuchâteloise reste perplexe. «Dans le contexte de la pandémie, ne pourrait-on pas faire preuve d’un peu de flexibilité? Et est-ce que le fait d’être septuagénaire me met à l’abri de ce cancer?»
Des examens non essentiels
La campagne de dépistage du cancer du côlon est ancrée dans l’Ordonnance sur les prestations de l’assurance des soins (OPAS), comme celle qui concerne le cancer du sein (lire page 24). Elle propose aux personnes de 50 à 69 ans de soumettre à une analyse des selles ou à une coloscopie pour détecter la présence éventuelle de polypes (lire: «Dépistage à grande échelle»). Berne a délégué aux cantons le soin de mettre sur pied les structures nécessaires.
A Neuchâtel, c’est l’Association pour le dépistage du cancer (ADC BEJUNE) qui s’en charge. La situation de cette lectrice ne laisse pas indifférente sa directrice, Nathalie Fleury. Mais la loi, c’est la loi: «Le Conseil fédéral a décidé de suspendre certains examens jugés non essentiels lors de la première vague de la pandémie au printemps 2020. Les activités ont pu reprendre en mai, dans le cadre légal habituel et sans mesure transitoire.» Traduisez: Berne n’a rien prévu pour rattraper le retard accumulé pendant les six semaines de confinement.
La limite d’âge est fixée dans l’ordonnance. «Nous veillons, dans la mesure du possible, à inviter les personnes proches de ce cap trois mois avant leur 70e anniversaire pour leur laisser le temps de faire les démarches nécessaires», poursuit Nathalie Fleury. Une fois passée la date limite, il est en effet impossible de rembourser le test par le biais de l’assurance maladie de base. Odile Churchward devra le payer de sa poche, sauf si elle a des symptômes (notamment des saignements) ou si trois de ses proches ont contracté le cancer du côlon.
Septuagénaires en danger
Notre lectrice a de plus, sans le savoir, mis le doigt sur un problème délicat: diverses études montrent que le nombre de cas augmente après 65 ans. Plusieurs pays ont prolongé le dépistage jusqu’à 74 ans. Mais, en Suisse, la prévention court jusqu’à 69 ans seulement. «Nous sommes conscients que cette tranche d’âge ne correspond plus, ni aux preuves scientifiques, ni aux recommandations internationales», reconnaît Nathalie Fleury. Une réflexion est en cours avec la Ligue suisse contre le cancer pour adapter cette disposition: cela prendra quelques années. «ll faut d’abord modifier l’ordonnance et les programmes de dépistage devront ensuite adapter leur pratique», explique Stefanie de Borba, responsable médias à la Ligue suisse contre le cancer. D’ici là, les septuagénaires se passeront de dépistage ou le paieront de leur poche: en matière de prévention, la Suisse est loin d’être championne du monde.
Claire Houriet Rime
Une maladie silencieuse
Le cancer du côlon ou de l’intestin frappe chaque année 4300 personnes en Suisse et provoque 1700 décès. C’est le troisième cancer le plus fréquent chez les hommes après ceux de la prostate et du poumon, le deuxième chez les femmes après celui du sein. Il se développe à partir de petites excroissances, les polypes. La majorité ne présente aucun danger, mais certains peuvent évoluer lentement en cancer: une détection précoce augmente massivement les chances de guérison.
Tous les cantons romands, à l’exception du Jura bernois, ont mis sur pied un programme de dépistage basé sur deux examens: une analyse des selles tous les deux ans ou une coloscopie (petite caméra dans l’intestin) tous les dix ans. Dans le premier cas, si on trouve des traces de sang (19% des prélèvements), il faudra faire une coloscopie: neuf fois sur dix, le cas est sans aucune gravité. Les cantons du Jura, de Neuchâtel et du Valais proposent l’analyse des selles. Ceux de Fribourg, Genève et Vaud laissent le choix entre les deux examens.
Dans le cadre du dépistage, les analyses sont remboursées hors franchise mais la quote-part de 10% reste à charge du patient. Davantage d’informations sur swisscancerscreening.ch/fr/